Dans la ville blanche
Un marin déserte son poste lors d'une escale à Lisbonne. Il aime la ville, il aime Elisa qu'il a laissée en Suisse et tombe amoureux de Rosa, serveuse dans un bar. Un film sur l'échec et l'isolement.
Dans la Ville Blanche est un tournant dans le cinéma de Tanner. Renouant avec le succès public qui avait manqué depuis Jonas qui aura vingt-cinq ans… le film marque en outre une rupture esthétique dans l’œuvre. Si la fuite, le désir de solitude étaient des thèmes tannériens, ils se développaient toujours sur un socle issu du gauchisme, fait de conversation et de fantasmes ludiques, un paradis de mots et de facéties où les personnages habitaient. Rien de tel dans ce film qui impressionne par son silence, sa poésie dépouillée et sa mélancolie sombre. Le cinéaste suisse s’est-il rappelé sa jeunesse dans la marine marchande pour imaginer ce portrait de marin (sublime Bruno Ganz) quittant tout pour se fondre corps et âme dans Lisbonne ? Au début du film, Ganz fait remarquer à une barmaid que l’horloge de son bar marche à l’envers. Elle lui répond : « L’horloge marche juste. C’est le monde qui marche à l’envers. » C’est sous le signe de ce dérèglement que le personnage vit sa solitude urbaine, enregistrant avec sa caméra super 8 les fragments de réel qu’il envoie à sa femme, circulant au hasard comme s’il attendait d’être pris par le réel, de faire partie de lui. Avec Dans la Ville Blanche, Tanner s’affirme comme un grand cinéaste du territoire, la carte du personnage et la topographie de la ville finissant par se confondre peu à peu. Car le rêve fou du marin est peut-être simplement de devenir Lisbonne.
Frédéric Bas, Alain Tanner - Ciné-Mélanges