Les années lumière
L'an 2000: Jonas jeune Irlandais quitte son emploi de serveur dans un bar pour rejoindre Yoshka un vieil original qui vit dans un garage désaffecté. Tout d'abord il le rejette puis après une tentative de suicide de Jonas, l'accepte et lui fait part de son secret: voler!
Situé quelque part entre la fable écologique et le conte fantastique, Les Années Lumière apparaît à première vue assez éloigné du monde d’Alain Tanner. Adaptation d’un roman de Daniel Odier, "La Voie sauvage", le film assume une part de fantasque et d’irréel qui peut dérouter le spectateur, le cinéaste n’ayant guère donné, jusqu’à ce film étrange, dans le registre du bizarre. La folie rôde parfois dans le cinéma de Tanner, mais c’est une folie douce, un écart conscient à la norme qui passe souvent par l’humour ou un comportement qui joue avec la réalité, mais sans la nier. Déjà Messidor posait les bases d’une dérive plus dure des personnages, la fugue des filles évoluant vers une rupture de plus en plus délinquante avec la société. À travers Messidor, Tanner quittait violemment la Suisse et son théâtre plus ou moins rassurant pour une fiction criminelle sans concessions. Avec Les Années Lumière, il s’exile en Irlande et choisit comme personnage principal un fou radical, un vieil illuminé obsédé par l’idée de voler comme un aigle, d’être un aigle. La société moderne est expulsée du récit, remplacée par un bout du monde intemporel, un hangar désaffecté, une station d’essence improbable perdue dans la lande. Le récit commence au moment où le vieux Yoshka Poliakov, porté par l’interprétation shakespearienne de Trevor Howard, rencontre un jeune homme et entreprend sa formation… d’oiseau. C’est par là qu’on se trouve en terrain tannérien connu : la transmission d’un savoir sensible à l’écart du monde. On retrouve chez le vieux Russe un peu du Charles Dée de Charles mort ou vif, mais les leçons politiques que ce dernier tentait auprès de son hôte un peu fruste en lui faisant apprendre citations ou proverbes sont remplacées ici par des leçons de choses. Poliakov est un professeur de sensualité et les épreuves, toutes aussi insolites les unes que les autres, qu’il fait subir à son élève n’ont qu’un but : perdre les oripeaux matérialistes de la fausse civilisation pour gagner la logique de la sensation. Les Années Lumière sont un film-charnière dans l’œuvre de Tanner, annonçant son versant sensualiste et pessimiste, dont le chef-d’œuvre est Dans la Ville Blanche. D’une certaine manière, la dérive de Bruno Ganz dans une Lisbonne à laquelle il se livre corps et âme est annoncée par le désir du vieux Yoshka de ne faire qu’un avec la nature, le cosmos. Il y a dans les deux films la même folie qui cherche à affecter l’identité humaine en son cœur : au devenir-oiseau de l’un correspond le devenir-ville de l’autre.
Frédéric Blas, Alain Tanner - Ciné-Mélanges