Wadjda
Wadjda, petite Saoudienne de 11 ans, vit seule avec sa maman. Elle a une fâcheuse tendance à se défier les règles de la société islamique: elle aime les baskets et rêve d’un vélo. Pour l’obtenir, elle décide de participer à un concours qui consiste à psalmodier l’entier du Coran par coeur. Ecrit et réalisé par la première femme cinéaste d’Arabie saoudite, Wadjda n’a pas fait sensation uniquement pour cette raison, mais aussi par sa qualité. Primé de nombreuses fois à sa sortie dans différents festivals, le film a notamment remporté le Prix du Public du FIFF en 2013.
Spécificités du film
(...) Ce film figure parmi les quelques premiers longs-métrages tournés en Arabie saoudite. Il est en tout cas le premier film réalisé par une Saoudienne. L'audace de la réalisatrice est d'autant plus forte que le sujet de son film est controversé. Pour les spectateurs, son portrait d'une jeunesse opprimée vaut mieux qu'un documentaire.
Les contextes géo-politique et culturel
Réaliser un tel film relève de l'exploit parce qu'on imagine bien la difficulté des conditions de tournage (pour ne rien dire du casting) pour une femme. A ce propos, Al-Mansour confie avoir dû recourir au téléphone pour donner ses indications sur le plateau de tournage. En effet, l'Arabie saoudite ne permet pas aux femmes de s'adresser aux hommes dans des endroits publics. En fait, le royaume d'Arabie saoudite est l'un des pays où la censure (religieuse, politique et morale) est la plus grande ; par exemple, c'est le seul pays au monde où les femmes ne peuvent pas conduire. Et l'un des derniers à ne pas avoir de salles de cinéma. D'autre part, le film cache mal ses critiques contre cette société morale, machiste et patriarcale. Pourtant, il se contente de montrer la situation d'une Saoudienne qui se heurte à quantité d'obstacles à son épanouissement. Si bien que l'on se demande comment il a été fait dans le pays qu'il explique/dénonce. Il n'y a que la production qui soit étrangère (financement allemand), sinon les comédiens comme les lieux sont indigènes. Si le film se concentre bien sur les aventures de la petite Wadjda qui veut adopter la mode occidentale, deux scènes évoquent la situation internationale. D'abord, le lien peu clair qu'entretient l'Arabie saoudite avec la Palestine (le prix gagné par Wadjda contribuera à une bonne œuvre en Palestine). Ensuite, le terrorisme islamiste est mentionné en passant, dans une scène où Abdullah et Wadjda marchent près d'une réunion de recueillement auprès du cadavre d'un fils sacrifié : on y apprend qu'il s'est fait exploser pour la "bonne" cause. Culturellement, Wadjda insiste aussi sur l'influence des Etats-Unis. Au-delà de la référence au film The Matrix, le film montre vers quel idéal la jeunesse saoudienne souhaite se tourner : le mode de vie auquel Wadjda aspire (se couper les cheveux court, porter des Converse…). Politiquement, on rappellera que l'Arabie saoudite a conclu un accord historique pour obtenir des Etats-Unis sa protection contre du pétrole bon marché – jusqu'au fameux 11 Septembre, où 15 des 19 terroristes ont été identifiés comme ressortissants d'Arabie saoudite…
L'intrigue
L'histoire de la petite Wadjda ne vaut pas sas seulement parce qu'il s'agit du 1er film saoudien tourné par une femme. Mais aussi parce que c'est un vrai film : avec du rythme (montage), un casting riche et tenu, un souci du détail, une histoire cohérente, qui ne se perd jamais, et les dialogues qu'il faut, ainsi que des recherches sur la composition du plan (jeux avec les miroirs – tel dans cette significative scène de l'essayage de la robe rouge dans les toilettes d'un supermarché – la boutique ne possède pas de cabine d'essayage ! – où la mère de Wadjda s'observe dans la glace à côté d'un mannequin pour une pub européenne)… Au reste, Wadjda a déjà été apprécié et reconnu dans plusieurs festivals, dont la dernière Mostra de Venise. Intérêt pédagogique On aurait enfin tort de ranger Wadjda dans la seule catégorie des films pour enfants, voire pour ados, sous prétexte de la facilité l'identification la jeune héroïne principale. Parce que le film n'a pas besoin de cette identification pour le suivre et comprendre au mieux son propos. Les exploitations pédagogiques possibles ne manquent pas. D'abord, ne serait-ce que par le dépaysement que le film provoque : découverte d'une société (structurée : les distinctions de classes sociales sont marquées ; notamment entre celle du chauffeur clandestin et la famille d'Abdullah), avec son histoire (depuis sa création par les Saoud), sa religion (musulmane wahabbite), son économie (le pétrole, les difficultés liées à la crise mondiale actuelle)… Réaliste, Wadjda permet des liens avec l'actualité (timidité du printemps arabe dans ce royaume, mise en évidence des intérêts géostratégiques de cette région (soutien avoué à la Palestine, influence économicoculturelle de l'Occident, des USA surtout, concurrence perceptible avec la Chine), ainsi qu'un point sur la condition de la femme musulmane (mariage, port du voile, relations à l'homme, mais aussi possibilités – pour l'époux – de divorcer) et sur la liberté d'expression en général.
Extraits de la fiche pédagogique e-media