VIC + FLO ONT VU UN OURS
Victoria, une ex-détenue sexagénaire, s’installe dans une cabane à sucre retirée en forêt après avoir purgé une longue peine en prison. Sous la surveillance de Guillaume, un jeune agent de probation empathique, elle tente d’apprivoiser sa nouvelle liberté en compagnie de Florence, avec qui elle a partagé des années d’intimité. Mais des fantômes du passé pourraient mettre en péril leurs retrouvailles. Cinéaste emblématique du Québec, Denis Côté signe un film fou, truculent, fabuleusement inspiré, avec un duo Pierrette Robitaille/Romane Bohringer que les spectateurs ne seront pas près d’oublier.
« Sortie de prison, Victoria s’installe au fin fond de la forêt québécoise, bientôt rejointe par Florence, son ex- codétenue qui vient vivre avec elle sous le même toit. Autant l’aînée, Victoria, se barricade dans ce refuge, opposant une perpétuelle attitude de méfiance à l’égard de tout intrus, autant sa cadette souhaite retrouver la lumière. Ces deux femmes de caractère reçoivent la visite, irrégulière, de l’agent de probation chargé de vérifier qu’elles sont dignes de la liberté que la justice leur a octroyée avant le terme de leur peine. Flegmatique et mystérieux, il est reçu avec insolence par ces deux affranchies qui se paient sa tête et le provoquent, sans parvenir à le déstabiliser.
Le spectateur suit les états d’âme de ces deux femmes, observe l’esquisse de douceur entre elles et les illusions, mâtinées d’ennui, de leur nouvelle vie. Peu à peu, imperceptiblement, quelques signes, des indices furtifs distillent un climat d’angoisse. Le rapprochement d’une voisine, prompte à donner des conseils de jardinage, cristallise la réalité d’un non-dit qui planait jusque- là. Soudain, la menace se précise...
(...) Franc-tireur du cinéma québécois, ancien critique de cinéma à la plume acérée, depuis Les États nordiques (2005), Denis Côté, 40 ans et sept films, ne cesse de surprendre. Les cinéphiles français n’ont vu de lui que Curling (2011) et Bestiaire (2013). Adepte de l’ellipse et de l’allusion, inspiré par des personnages en marge et décalés, son univers ironique et intrigant s’empare de la vie quotidienne pour la tisser d’étrangeté, dériver vers des dénouements stupéfiants, marqués par l’humour loufoque, notamment dans la scène finale qui mêle la violence et le dérisoire. Après la terreur, le rire...
Pierrette Robitaille (Victoria), actrice de comédie très populaire au Québec, joue à la perfection ce contre-emploi de femme ténébreuse, inquiète, sur le qui-vive. Autour d’elle, en Florence qui croit pouvoir effacer d’obscures dettes, Romane Bohringer apporte son énergie fêlée et Marie Brassard, en voisine prévenante, la part sombre qui ficelle l’intrigue. Marc-Antoine Grondin, imperturbable agent de l’administration, rappelle la norme dont cherchent à se défaire ces deux femmes qui se croient libérées des liens du passé...Denis Côté manie différents registres et joue avec les codes pour mieux les détourner. Le jury du dernier Festival de Berlin lui a d’ailleurs décerné l’Ours d’argent pour sa façon « d’ouvrir de nouvelles perspectives ».
Jean-Claude Raspiengeas , La Croix