Transfiguré - 12 vies de Schönberg
Captation du spectacle TRANSFIGURÉ - 12 VIES DE SCHÖNBERG mardi 12 novembre à 20H00 en présence du metteur en scène Bertrand Bonello et de la réalisatrice Louise Narboni !
En partenariat avec les Éditions Contrechamps à l'occasion de la parution de l'ouvrage Arnold Schönberg Écrits 1890-1951 et en présence de Philippe Albèra (éditeur scientifique).
Hommage au compositeur Arnold Schönberg, avec douze de ses oeuvres mises en scène par le cinéaste Bertrand Bonello, sous la direction musicale d'Ariane Matiakh. Un spectacle puissant mêlant musique, images et textes.
Arnold Schönberg, un artiste "dégénéré", comme le qualifièrent les nazis ? Le génie du compositeur autrichien, pourtant, bouleversa le visage de la musique du XXe siècle. Avec le dodécaphonisme, Arnold Schönberg inaugura une ère esthétique nouvelle, faite de rupture atonale et de disparition de la mélodie et de l’harmonie. À l’occasion des 150 ans de sa naissance, la cheffe d’orchestre Ariane Matiakh et le cinéaste Bertrand Bonello offrent une vision kaléidoscopique du phénomène Schönberg au prisme du chiffre 12 : douze comme les notes de la gamme chromatique fondant le système dodécaphonique, et comme les douze extraits d'œuvres représentatives de son imaginaire en perpétuelle métamorphose, de Pelléas et Mélisande à La nuit transfigurée, de Pierrot lunaire à Kol Nidre.
Porté par l'Orchestre de Paris, le spectacle mêle musique, images et textes, en donnant à suivre, de 1899 à 1948, l'évolution de l'œuvre de celui qui fut aussi théoricien et peintre, ainsi que celle de l'Allemagne, jusqu’à l’effondrement. L’ambitieuse scénographie de Bertrand Bonello utilise l'architecture de la Philharmonie de Paris et de sa grande salle Pierre-Boulez (du nom de l’un des plus célèbres héritiers de Schönberg) comme le réflecteur des tourments intenses de ce rénovateur radical et des tragédies du monde contemporain. La soirée oscille entre l’élan des grandes formations présentes dans la salle – les cent musiciens et quatre-vingts choristes de l’Orchestre de Paris – et les interventions des comédiens et danseurs arpentant la scène, auxquelles répondent les partitions des solistes, le pianiste David Kadouch et la soprano Sarah Aristidou. En arrière-plan apparaissent de puissants effets optiques, telles des formes fantastiques ou des vues de l'esprit. Un hommage d’une grande densité à l’inventivité proliférante d’Arnold Schönberg.
Note d’intention - Bertrand Bonello
J’ai fait beaucoup de piano quand j’étais enfant et un jour, mon professeur m’a dit : « Nous allons étudier les pièces pour piano de Schönberg. Cela ne va pas vous plaire mais vous les jouerez bien. » J’ai donc eu une proximité avec sa musique très tôt. Cela m’a porté chance : quelques années plus tard, je suis tombé sur Schönberg à l’option musique du bac, que je lui dois probablement... Adulte, j’ai un peu perdu le contact avec le répertoire classique, mais l’envie de revenir à ces premières amours était dans l’air. Avec Olivier Mantei, nous avions un temps réfléchi à un projet de Pelléas et Mélisande de Debussy pour l’Opéra Comique. Quand il a pris la direction de la Philharmonie de Paris, la mise en scène d’opéra a laissé́ place au rêve d’un spectacle transversal, qui donne à voir le lieu différemment, et à entendre la musique de façon moins segmentée que les formes habituelles du concert... Olivier m’a demandé de lui raconter mon parcours musical, et il m’a dit tout simplement : « Eh bien voilà... Schönberg ! ». Après, tout restait à inventer.
Pour moi, Schönberg est un grand romantique. C’est évidemment très visible dans ses premières pièces post-Malher, comme La Nuit transfigurée ou Pelléas et Mélisande. Mais aussi dans les pièces qui suivent, les atonales, les dodécaphoniques. Je ne suis pas d’accord avec la vision mathématique ou froide qu’ont beaucoup de gens de sa musique. C’est un grand inventeur de forme, probablement celui qui a le plus bouleversé la composition musicale en ce début de siècle, quitte à dérouter et à s’isoler. Mais l’invention la plus savante n’empêche pas le sentiment. « Il est provisoirement refusé à mes œuvres de gagner la faveur des masses. Elles n’en atteindront que plus facilement les individus », écrit-il à Kandinsky en 1909.
Transfiguré est un spectacle hybride, avec une dramaturgie sans livret, plus sensorielle que classiquement narrative. Musicalement, cette dramaturgie s’est construite de façon chronologique, ou quasi, afin de rendre perceptible aux spectateurs la pensée de Schönberg, ainsi que sa recherche musicale au fil des années. De mieux comprendre et ressentir sa propre chronologie. Son chemin. Et puis l’envie de faire résonner tout cela avec le chaos politique qui a bouleversé sa vie d’artiste et d’homme, à savoir la montée du nazisme, qui arrivera dans le spectacle avec les Lieder, composés en 1933 et qui montrent bien l’angoisse de Schönberg. « Et là, j’abandonne l’espoir en la compréhension. C’était un rêve », écrit-il encore à Kandinsky dès 1923.
Avec la cheffe Ariane Matiakh et le pianiste David Kadouch, nous allons privilégier les contrastes tout en suivant ce fil historique. Nous commencerons avec l’ensemble de chambre de La Nuit transfigurée, expression de l’intime, à laquelle succèdera tout naturellement le grand orchestre de Pelléas, qui pousse dans ses derniers retranchements le langage post- romantique. En écho au texte et au symbolisme de Maeterlinck, c’est aussi un moment où je souhaite solliciter les acteurs sur scène et en vidéo pour arriver à un véritable opéra muet. Puis ce sera la rupture, avec le monde atonal, ouvert par les Pièces pour piano op. 11. Le défi consistera alors à donner une évidence sensible à cette révolution intellectuelle, en associant les notes aux mots et aux peintures de Schönberg. Ces peintures, sombres et pessimistes, répondent visuellement à sa musique et sont un pendant essentiel pour comprendre le compositeur.
J’imagine une sorte de balancier entre des temps où une dramaturgie concrète se réincarne grâce aux comédiens et à la vidéo (Friede auf Erden, certaines des Pièces pour orchestre op. 16, Erwartung) et des moments de distance et d’une relative abstraction (les Six pièces pour piano op. 19). De même, les convulsions du siècle font irruption avec l’expressionnisme berlinois, préfiguré́ dès avant la guerre avec le Pierrot lunaire, auquel répond l’invention du dodécaphonisme et sa pure poésie mathématique, avec le Prélude de la Suite pour piano op. 25.
L’articulation entre l’œuvre de Schönberg et les dévastations historiques, mais aussi intimes, qui accompagnent la montée du nazisme, se fait notamment grâce au livre de Charlotte Beradt, Rêver sous le IIIe Reich. Journaliste et proche amie de Hannah Arendt, elle a recueilli, avant de fuir l’Allemagne à la veille de la guerre, les rêves de ses compatriotes entre 1933 et 1939, qui illustrent l’invasion de la terreur au plus profond d’eux-mêmes, ainsi que la subtile dualité́ entre résistance psychologique et intériorisation des normes totalitaires. Comment la peur peut coloniser l’inconscient.
À l’énonciation de ces rêves par les comédiens, mais aussi par des mots et des images projetés, répondent le Concerto pour piano de 1942 et le Kol Nidre de 1938. Les dernières minutes du spectacle traduisent visuellement et musicalement la catastrophe qui s’accomplit et la puissance spirituelle qui la surmonte.