À SON IMAGE
Fragments de la vie d’Antonia, jeune photographe de Corse-Matin à Ajaccio. Son engagement, ses amis, ses amours se mélangent aux grands événements de l’histoire politique de l'île, des années 1980 à l'aube du XXIe siècle. C’est la fresque d’une génération.
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Thierry de Peretti entremêle l’histoire du mouvement nationaliste au destin d’une femme amoureuse du mauvais garçon…. Purs et intenses instants de cinéma
Thierry de Peretti, homme de théâtre passé au cinéma, né à Ajaccio en 1970, revient à la saga corse qui avait occupé ses deux premiers longs-métrages, après un crochet par le polar d’atmosphère (Enquête sur un scandale d’Etat). Inspiré du roman éponyme de son « compatriote » Jérôme Ferrari, A son image revient sur la période des années 1980-1990 déjà décrite dans Une vie violente, racontant la dérive des mouvements indépendantistes corses vers la lutte armée, les rivalités intestines, les vendettas en pagaille et le banditisme.
A cette séquence historique, A son image appose un contrechamp féminin, s'attachant à l'itinéraire d'une jeune compagne de militant, prise par amour interposé au cœur de la tourmente. Le film commence très fort, par la fin, inscrivant en exergue la mort fortuite de son héroïne dans un accident de voiture, une terrible sortie de route à partir de quoi tout le reste sera raconté, non sans d'emblée un poignant sentiment de gâchis.
Au début des années 1980, Antonia sortait de l'adolescence en tâtonnant, intriguée par les photos de famille, apprenant à manipuler l'appareil argentique, et se dénichant bientôt un emploi de photographe à Corse-Matin. Dans le même temps, elle tombe amoureuse d'un certain Pascal, port altier et longue chevelure, militant nationaliste autour duquel gravite toute une bande de copains du même âge, animés par la cause.
En dressant ce portrait, Thierry de Peretti trouve une façon de ne pas raconter trop directement l'histoire corse récente, avec tout ce que cela impliquerait d'artifices fictionnels. A son image décrit plutôt un pas de côté, ne donnant à percevoir cette séquence de lutte armée qu'à travers ses répercussions sur la vie intime de son héroïne. C'est la première beauté du film : se placer, non pas au cœur des événements, mais juste à côté, dans cette sphère existentielle qui en reçoit l'écho tout en gardant un pied dans le quotidien.
Dans ce flottement existentiel, la mise en scène n'est évidemment pas pour rien, où le cinéaste poursuit son travail sur le plan comme une expérience à part entière. Sa prédilection pour les cadres larges le porte à embrasser de vastes pans de réalité, à inscrire les personnages dans leur environnement et, surtout, à privilégier le plus souvent le portrait de groupe sur la découpe individuelle. Peretti sacrifie assez peu à l'iconographie de la lutte armée, mais se montre attentif à ce qui en affleure dans le quotidien.
Le film interroge le regard d’Antonia en butant sur son visage renfrogné et ses postures incertaines. Dans l'événement politique d'une ile en lutte, comme dans le déclic photographique, il y a toujours quelque chose de raté : une décoction lente qui fait qu'on ne comprend jamais qu'après-coup ce qu'on a vu, c'est-a-dire trop tard. C'est là que résident la mélancolie du film et sa plus profonde vérité.
-Mathieu Macheret, Le Monde