Hommage à Laurent Achard (1964-2024)
Hommage au réalisateur Laurent Achard (1964 - 2024) :
SAMEDI 4 MAI
> 14H00 : Programme de courts-métrages : DIMANCHE OU LES FANTÔMES (1993) + UNE ODEUR DE GERANIUM (1997)
> 15H30 : PLUS QU'HIER, MOINS QUE DEMAIN (1998)
> 19H00 : LA PEUR, PETIT CHASSEUR (2004) + LE DERNIER DES FOUS (2006)
> 22H00 : DERNIERE SEANCE (2011)
DIMANCHE 5 MAI
> 14H00 : Double programme PORTRAITS : UN, PARFOIS DEUX... (2016) + AVANT SATURNE (2022), en présence de Gaël Teicher, producteur et distributeur LA TRAVERSE !
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Mort du cinéaste Laurent Achard à 59 ans : à ses heurts perdus
par Philippe Azoury - Libération
Occupant une place d’éternel marginal, le réalisateur, prix Jean-Vigo en 2006, est mort ce lundi 25 mars. Il laisse une œuvre rare, emplie de peurs, de blessures, mais aussi de douceur.
Parfois, pour l’emmerder, on lui reprochait de croire encore au cinéma. Comme l’alcoolique en l’alcool, comme l’enfant au Père Noël : désespérément. Comment pouvait-il en être autrement ? Laurent Achard, dont nous avons appris brutalement la mort ce lundi 25 mars, avait hérité depuis l’adolescence d’une idée du cinéma – nom donné à ce qui est à la fois un art et une maladie souvent contagieuse. Laquelle consiste à voir à travers un cadre l’essence brute du monde. L’eau, l’air, les visages, mais tels qu’ils sont. Les relations entre les êtres, leurs gestes sourds, leur beauté ennemie de leur violence intime… tout ça amplifié à l’écran. Amplifié pour mieux en garder le secret. C’est tout l’équilibre, l’impossible du cinéma, cette façon unique de dire les choses pour mieux les taire.
Laurent Achard, dans la vie, aimait, quand il voulait vous dire quelque chose d’important, porter sa main à la bouche et vous le hurler à l’oreille. Ces films portent le même charme paradoxal : ils hurlent mais en le couvrant d’une forme d’exclusivité, ce secret qui se refile du film aux spectateurs, pris un par un dans leur solitude absolue, dans le noir capitonné de la salle. Achard a reconnu devant un Renoir, un Grémillon, un Pialat, des blessures archaïques qu’il ne pouvait garder plus longtemps pour lui. A moins d’en crever. Ses propres films se sont aussitôt remplis d’écorchures, d’ecchymoses, des trucs enfouis, des trucs d’enfants.
Un enfant en plein délire
Ses trois longs métrages (Plus qu’hier moins que demain en 1998, Le Dernier des fous, prix Jean-Vigo en 2006, et Dernière Séance en 2011) fonctionnent ainsi : ils sont d’une grande brutalité, mais tout à leur façon, avec pudeur. Ils n’aiment pas le spectacle de la douleur étalée. Peut-être parce qu’à force d’avoir quelque chose à nous dire, ils auront fini par oublier quoi. En chemin, ils auront croisé cette qualité de l’air, ce ciel jamais vraiment radieux, cette campagne qui écrase plus qu’elle ne fait pousser (lui-même est né dans l’Yonne). Au centre de ce champ de bataille, presque toujours, il y a un enfant, livré à lui-même et à sa juste appréciation des choses : en plein délire donc.
Tout cela mis ensemble à l’écran produit une fermeté dans la douceur qu’on ne connaît chez aucun autre. Cela même qui en faisait un cinéaste rare, et non pas le fait qu’il ait hélas trop peu tourné, occupant une place non désirée d’éternel marginal. Sa filmographie est restée solitaire, ou plus exactement orpheline. Pour des raisons sans doute historiques, d’ailleurs : quand sort, en février 1999, Plus qu’hier moins que demain, la filiation de cinéma dans laquelle Achard s’inscrit naturellement n’est pas au maximum de sa forme. Les années 80 ont essoré Eustache, Akerman, Stévenin, Pialat. La bande à la marge de la marge que composait son maître Paul Vecchiali, mère pélican rassemblant autour de la maison de production Diagonale un caravansérail de cinéastes modestes (Biette, Guiguet, Treilhou, Frot-Coutaz), s’éteint peu à peu. Le Achard-film arrive après la bataille et ne bénéficie d’aucun effet de groupe. Une autre génération viendra, de Serge Bozon à Justine Triet, de Frank Beauvais à Alain Guiraudie, mais elle éclôt bien plus tard. Les deux cinéastes de sa génération avec qui Achard aurait pu faire bande, avec ce que le terme produit d’effet de rampe de lancement, étaient Patricia Mazuy et Leos Carax (il leur aura consacré ces dernières années deux documentaires, le dernier autour de Carax était en passe d’être achevé), soit deux cinéastes toujours déjà maudits.
L’altérité ou la mort ?
Mais la solitude mettait Achard face à sa question : que filme-t-on quand on est seul à filmer ainsi ? La réponse flotte entre ces quelques lignes qu’écrivait Olivier Séguret dans Libération, en février 1999 à la sortie de Plus hier moins que demain : «Où et comment être ? Mais il est souvent drôle, aussi, de constater comme la violence est harmonie chez Laurent Achard. Elle écroule le monde et le rebâtit aussitôt, […] déborde le cadre de l’humiliation puérile pour atteindre un cocasse sidérant, qui nous renvoie incessamment à la question palpitante du film, celle à quoi se résument toutes les questions, et qui concerne notre place dans le monde. Où être ? Et comment ? Où trouver le juste milieu du monde dans lequel se tenir ?»
Deux autres films tenteront d’y répondre (dans lesquels on retrouve son acteur fétiche, le merveilleux Pascal Cervo). Ils seront de moins en mois solaires. Le Dernier des fous dessine le trajet d’un enfant jusqu’à l’irréductible. Dernière Séance porte le deuil du cinéma comme lieu de refuge, la salle n’est plus cet endroit qui nous protège de la folie. Film hanté par les textes de Serge Daney ou de Louis Skorecki, deux figures critiques tutélaires de ce journal, et s’interroge sur le legs. Achard était un peu notre Antigone.
L’altérité ou la mort ? Ses derniers films seront des portraits documentaires de cinéastes au travail : Vecchiali, Mazuy, Brisseau, Carax. Aucun d’eux étrangement n’a filmé ce qui était le grand sujet d’Achard : la peur. C’est elle qui est au centre de son plus beau film, en 2004 : La Peur, petit chasseur. Un seul plan fixe, qui tient sur moins de dix minutes. On y voit une ferme, le ciel pas exactement au beau fixe, la campagne, telle qu’elle est, à prendre ou à laisser, Un enfant regarde la maison. Il regarde sa mère étendre son linge. Il regarde le chien qui s’ennuie. Et surtout il entend. Le père, fou, dans la maison, hurlant, et la mère rentrer à son tour dans cette demeure. Et il entend les coups qui pleuvent. Et il reste là. Derrière lui, un train passe. Laurent Achard est parti lundi. Il allait avoir 60 ans. Il était l’écharde du cinéma français. Douleur.