Rétrospective Radu Jude
Rétrospective du cinéaste roumain Radu Jude à l'occasion de la sortie de N'ATTENDEZ PAS TROP DE LA FIN DU MONDE !
Séance spéciale de N'ATTENDEZ PAS TROP DE LA FIN DU MONDE mercredi 1er mai à 19H15 suivie d'une discussion en visio avec le réalisateur Radu Jude !
Radu Jude, humour à mort par Frédéric Maire, La Cinémathèque suisse
Une dizaine d’années après la chute du régime de Nicolae Ceaușescu en 1989, la Roumanie a connu un essor impressionnant de cinéastes avides de raconter librement leur vision de la révolution (comme dans The Paper Will Be Blue de Radu Muntean ou 12h08 à l’est de Bucarest de Corneliu Porumboiu, tous deux sortis en 2006), en y ajoutant un regard souvent désillusionné sur l’avenir européen du pays. Parmi les créatrices et créateurs roumains de cette nouvelle vague, il en est un qui, tout particulièrement, a décidé de mettre la caméra où ça fait mal, avec une intelligence rare, mais aussi, presque toujours, avec un humour absolument ravageur : Radu Jude, né en 1977 à Bucarest.
Après quelques expériences d’assistant et plusieurs courts métrages, il signe en 2009 son premier long métrage, La Fille la plus heureuse du monde, récit tragi-comique de la gagnante d’un concours publicitaire et du tournage avorté du film censé vanter la marchandise. Présenté au Festival de Berlin, le film met en évidence la façon dont la Roumanie nouvelle (se) coule dans le moule de la société de consommation. Son film suivant, plus amer, autour d’une situation de divorce, Papa vient dimanche (2013), présenté au Forum à Berlin, prolonge cette réflexion contemporaine. Il décide ensuite de remonter le temps et signe un western picaresque dans la Valachie du XIXe siècle, en noir et blanc et accompagné d’une musique locale, Aferim ! (2015), lauréat d’un Ours d’argent à Berlin, où il évoque le destin (tragique) des tziganes en Roumanie. Ensuite, toujours dans une veine en partie historique, il s’inspire des textes de l’écrivain juif roumain Max Blecher, écrits en 1937, pour raconter le naufrage annoncé de la société occidentale et la montée des totalitarismes dans Cœurs cicatrisés, lauréat du Prix spécial du jury au Festival de Locarno en 2016. Dans la foulée, il évoque le massacre de vingt mille juifs par l’armée roumaine à Odessa, en 1941, et l’adhésion roumaine au nazisme, une part d’histoire passablement réécrite durant l’époque communiste, dans "Peu m'importe si l'Histoire nous considère comme des barbares" (2018).
Avec Bad Luck Banging or Loony Porn (2021), Ours d’or à Berlin et présenté à la Cinémathèque suisse en avant-première, Radu Jude reprend son observation de la Roumanie contemporaine à l’aune de la pandémie et des réseaux sociaux, questionnant la morale, le mensonge et les non-dits avec un humour (noir) extraordinaire. Quant à son nouveau film, N’attendez pas trop de la fin du monde (2023), lauréat du Prix spécial du jury à Locarno, c'est sans doute celui de sa filmographie qui est « le plus enthousiasmant, le plus foisonnant, le plus inventif, le plus drôle et désespérant » (dixit Jérémie Couston de Télérama). Radu Jude le décrit comme un film à la fois « mi-comédie, mi-road movie, mi-film de montage, mi-film en plans-séquence » et portant sur le travail, l’exploitation, la mort et la « gig economy », soit cette nouvelle façon d’exploiter les travailleuses et travailleurs en les engageant pour des petits mandats via des plateformes collaboratives. Il y condense à la fois son humour ravageur, son regard caustique sur la société et son amour très profond pour la création cinématographique. Toute son œuvre est en effet jalonnée d’expérimentations stylistiques où la mise en abyme, le film dans le film, la relecture des genres, la dilatation du temps à travers le plan-séquence sont poussés aux extrêmes et donnent, in fine, une image éclatée et pourtant si juste de la société. Un immense cinéaste à (re)découvrir d’urgence.
Une rétrospective de l’œuvre de Radu Jude est également organisée par la Cinémathèque suisse du 1er au 19 mai à Lausanne !