Le Film de ma vie
Danielle Schibler de l'Association des Amis des Cinémas du Grütli (AACDG), a choisi de présenter le chef-d'oeuvre de Éric Rohmer, Ma nuit chez Maud.
Avez-vous remarqué que lorsque l’on pose la question : « Quel est le film de votre vie ?», la réponse est immédiate. Pourtant, nous avons vu beaucoup de films, mais il y en a un qui, pour certaines raisons, s’est ancré émotionnellement en nous. Quant à moi, à cette question posée, j’ai répondu : Ma nuit chez Maud. Ce film en noir et blanc, si rohmérien, est ma « madeleine-de-Proust »; dès l’évocation du titre surgit dans ma mémoire la France des années 70 avec sa façon d’être, de penser… les désirs et les amours compliqués de cette époque. Puis, ce titre si suggestif ! A l’instar d’autres : Les Quatre aventures de Reinette et Mirabelle, Le Genou de Claire, Pauline à la plage… Mais rentrons dans le vif du sujet, dans le vif de mes souvenirs, la fameuse nuit où il ne se passe rien. La neige tombe ce soir de Noël sur la ville provinciale de Clermont-Ferrand. Dans un appartement, un couple : lui, c’est le jeune Trintignant à la voix suave, au timbre particulier. Il est invité par Maud à passer la nuit chez elle. Maud, c’est la piquante brune Françoise Fabian. Tout au long de cette nuit, Trintignant expose, parle…parle philosophie, métaphysique ; ils se vouvoient, ce qui apporte encore plus de charme à la séduction. C’est fou comme on parlait dans les films de Rohmer, de Rivette, de Truffaut et de Godard ! A croire que nous, les spectateurs, étions tous des intellos ! Nuit ratée pour Maud. Séduite, elle se propose à l’homme à la belle voix. Il se refuse à elle. Il se réserve pour une femme blonde aperçue à la cathédrale lors de la messe de minuit. La blonde, c’est la virginale Marie-Christine Barrault. Mais alors, où ce coquin de Rohmer nous amène-t-il ? Ma mémoire a retenu la dernière séquence. Ah, la belle scène ! Cela se passe l’été : il fait beau, chaud et voilà qu’ils se retrouvent, se croisent sur un étroit sentier qui domine une grande plage de l’Atlantique. Des années ont passé. Il est en famille, elle, seule. Il lui présente sa femme. Comme dans le roman médiéval, entre Iseult aux blanches mains, que l’on croit brune, et Iseult la blonde, Tristan a préféré la blonde. Trintignant lui, a épousé la blonde. Ils échangent quelques paroles, les deux femmes échangent des regards. On comprend qu’elles se sont connues, affrontées dans les circonstances parfois terribles que la vie nous réserve. Comme toujours, Rohmer nous présente une fin sous forme d’énigme : l’homme a-t-il fait le bon choix? La femme épousée est-elle si pure, si innocente ? Scénario subtil, magistral, vous en conviendrez après avoir vu ou revu ce superbe film des années 70. (Danielle Schibler)