Pamfir
Pamfir a été présenté en première mondiale à la Quinzaine des Réalisateurs, Festival de Cannes 2022.
Alors même que l'Ukraine résiste à la Russie, la France découvre au fil de l'automne la force et le renouveau de son cinéma. Après Jeunesse en sursis, de Kateryna Gornostai et Butterfly Vision, de Maksym Nakonechnyi, voici Le Serment de Pamfir, de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, certainement l'oeuvre la plus percutante qui nous soit parvenu de Kiev jusqu'à présent. Son scénario tortueux nous emmène dans les sombres forêts de Tchernivtsi, à la frontière de la Roumanie. Pamfir, ouvrier du bâtiment, revient au village après des mois passés sur de lointains chantiers. Colossal, charismatique, il n'a pas toujours été un gars honnête mais il tente de retrouver le droit chemin. Cependant, pour racheter un acte de vandalisme commis par son fils, il va devoir renouer avec le métier de contrebandier. Pamfir va alors se confronter pêle-mêle à la pègre locale, à la police, à l'armée… à un paysage décomposé où les repères moraux ont été largement brouillés par la corruption et l'avidité de chacun. Cette aventure se déroule au cours du carnaval, d'où le vertige qui s'installe. Alors que le film avance vers le chaos, on ne sait jamais qui se cache derrière les masques. A tout moment la fête peut valser vers cauchemar.
Le Serment de Pamfir est le premier long-métrage de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, cinéaste remarqué en 2018 avec Weightlifter, son court-métrage couvert de prix. Il déploie là une oeuvre lyrique et anxiogène qui louvoie entre les cordes du western et du film noir. On y retrouve la figure traditionnelle et universelle du gangster, voyageur solitaire, attaché à d'anciens codes mais confronté aux moeurs d'un nouveau monde sans foi, ni loi. La mise en scène, souvent époustouflante de virtuosité, enchaîne des mouvements de caméra sinueux qui paraissent ligoter le personnage, véritable barracuda pris dans un filet de pêche. Bardé des couleurs nationales jaunes et bleues, « Le Serment de Pamfir » dresse aussi un portrait de l'Ukraine des années 2020. Plane tout au long de cette histoire une sourde sensation de danger, un inquiétant frémissement qui, dans la postérité, fera de ce film un témoignage des jours d'avant l'invasion Russe. Au-delà de l'histoire ukrainienne, « Le Serment de Pamfir » est aussi un film sur l'Europe. Fascinant continent cousu de frontières fragiles, de légendes, d'histoires, de langues, de trafics et de guerres, de peuples frères et rivaux… espace à la fois uni et déchiré, continuellement réinventé. A 39 ans, Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk s'impose comme un chroniqueur de son époque, un metteur en scène aux pieds ancrés dans le réel et au regard tourné vers l'onirisme. Il va falloir apprendre à écrire son nom. (Adrien Gombeaud, Les Echos, 1er Novembre 2022)