Poesia Sin Fin
La mère d'Alejandro chante toujours ses répliques, comme dans La Danza de la realidad (2013). Et son père, après sa tentative dérisoire d'abattre un tyran, est redevenu un boutiquier qui humilie les pauvres et sa famille. Le héros, lui, a changé : adolescent exalté et chevelu, il renonce à ses études de médecine et veut devenir poète, à la fureur de papa qui ne voit dans les artistes, qu'ils soient peintres, romanciers ou comédiens, que des «pédés» .
Le cinéaste poursuit, avec Poesia sin fin, le récit burlesque, coloré, extravagant de sa vie. Il l'invente, la réinvente en une suite de trouvailles esthétiques, de scènes époustouflantes : le café Iris, par exemple, ce lieu gris aux clients endormis et aux serveurs cacochymes, où il rencontre, un soir, une créature échappée d'Amarcord de Federico Fellini : la poétesse Stella Diaz. Seins opulents et cheveux rouges, elle entame une liaison torride avec ce jeune homme qui l'idolâtre et se balade avec lui dans les rues en le tenant par les couilles – au sens propre du terme. (...)
Le film exalte le cinéma magique, celui de Méliès, ses trucages naïfs et l'émotion qui les submerge. Jodorowsky s'en sert pour inciter les spectateurs de tous les films du monde à s'ouvrir à l'imaginaire. Aux fantasmes. A tout ce qui dépasse la réalité. Lors du dénouement, soudain présent sur l'écran, il force celui qu'il a été, jadis, à se réconcilier avec son père – ce qu'il n'a jamais réussi à faire dans la vie. C'est le rôle du cinéma de conserver le passé, de se réconcilier avec lui et, en un sens, de retrouver, comme le temps perdu de Marcel Proust.
Espérons que Dieu laissera le temps à « Jodo », qui n'est plus tout jeune, de tourner le troisième volet de sa fresque autobiographique : on y verra Alejandro quitter son Chili adoré et dévasté, partir à la conquête de Paris, des surréalistes et d’André Breton…
Pierre Murat, Télérama